Le cauchemar de Füssli : une peinture sombre et fantastique de la fin du XVIIIe siècle

Le cauchemar de Füssli est une peinture à l’huile sur toile du peintre suisse Johann Heinrich Füssli, réalisée en 1781. Le tableau représente une scène terrifiante où une femme endormie est assaillie par un démon et un cheval aux yeux brillants. La toile mesure 101,6 x 127,7 cm et est conservée au Detroit Institute of Arts.

Contexte historique de l’œuvre

Le cauchemar de Füssli fait partie des œuvres qui marquent le début du romantisme en peinture, un mouvement qui se développe à la fin du XVIIIe siècle et au début du XIXe siècle en Europe. Le romantisme se caractérise par l’expression des sentiments personnels et des passions, l’attrait pour le sublime et le merveilleux, l’intérêt pour le Moyen Âge et les légendes populaires, la critique de la raison et de la société.

Füssli est né en 1741 à Zurich dans une famille de peintres et d’écrivains. Il étudie la théologie et les langues anciennes avant de se consacrer à la peinture. Il voyage en Allemagne, en France et en Angleterre, où il s’installe définitivement en 1779. Il est influencé par les œuvres de Michel-Ange, de Raphaël, de Rubens et de Rembrandt. Il est aussi fasciné par la littérature anglaise, notamment Shakespeare, dont il illustre plusieurs pièces.

Füssli expose pour la première fois le cauchemar à la Royal Academy de Londres en 1782. Le tableau fait sensation et suscite des réactions contrastées : certains admirateurs y voient une œuvre originale et puissante, d’autres détracteurs y voient une œuvre choquante et obscène. Le tableau est rapidement reproduit par la gravure et diffusé dans toute l’Europe. Füssli réalise lui-même plusieurs versions du cauchemar avec des variantes.

Analyse du tableau

Le tableau représente le moment où une femme est victime d’un cauchemar dans sa chambre à coucher. La scène se déroule dans un décor sombre et oppressant. La composition est organisée selon une diagonale descendante qui va du coin supérieur gauche au coin inférieur droit.

  • Au premier plan, on voit la femme endormie sur un lit recouvert d’un drap blanc. Elle porte une robe blanche qui laisse apparaître sa poitrine et ses jambes. Elle a les bras écartés et la tête renversée vers le bas. Elle semble inconsciente et sans défense.
  • Au second plan, on voit le démon qui s’est installé sur le ventre de la femme. Il s’agit d’un incube, une créature maléfique qui abuse sexuellement des femmes pendant leur sommeil. Il a une apparence humaine mais avec des traits monstrueux : il a la peau noire, les cheveux hirsutes, les yeux rouges, les dents pointues et les ongles griffus. Il regarde fixement le spectateur avec un sourire narquois.
  • Au troisième plan, on voit le cheval qui surgit derrière les rideaux rouges du lit. Il s’agit d’une jument noire, un animal associé aux cauchemars dans le folklore européen. Elle a les yeux blancs et brillants qui contrastent avec sa robe sombre. Elle ouvre la bouche comme pour hennir ou mordre.
  • Au dernier plan, on voit le fond de la chambre qui est plongé dans l’ombre. On distingue vaguement une table sur laquelle sont posés un miroir brisé, une fiole. Ces objets suggèrent que la femme a été interrompue dans sa lecture ou sa toilette par le cauchemar.

La palette du tableau est dominée par les couleurs sombres et froides (noir, gris, bleu) qui créent une atmosphère lugubre et angoissante. Füssli utilise la technique de l’huile sur toile pour créer des effets de lumière et d’ombre qui accentuent le contraste entre la femme et les créatures. Il soigne également les détails des expressions, des textures et des formes qui témoignent de son habileté et de son imagination.

Interprétation

Le cauchemar de Füssli est une œuvre qui illustre le thème du fantastique en peinture, c’est-à-dire la représentation de l’irrationnel, de l’étrange et de l’effrayant. Füssli exprime sa vision personnelle du rêve en mettant en scène une scène terrifiante et mystérieuse.

Füssli ne cherche pas à expliquer le sens du cauchemar ni à transmettre un message moral ou religieux. Il s’inspire plutôt librement du texte biblique du Livre de Job (4, 13-15) où un esprit malin apparaît à un homme endormi. Il mêle aussi des éléments issus du folklore, de la mythologie et de la littérature.

Füssli s’adresse aussi à son public cultivé et curieux qui apprécie les références savantes et les allusions symboliques. Il évoque ainsi sa connaissance de l’art ancien et de l’art moderne ; son admiration pour les maîtres italiens et flamands ; son goût pour les thèmes sombres et fantastiques.

Le cauchemar de Füssli est donc une œuvre remarquable par sa technique et son expressivité. C’est aussi une œuvre emblématique du romantisme qui témoigne du talent artistique et culturel de Füssli.

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